Venezuela: chronique d'un pays qui s'embrase

Un an après la mort du charismatique et controversé Hugo Chávez, le Venezuela est secoué depuis plus d’un mois par de nombreuses manifestations, marque d’un ras-le-bol d’une partie de la population.
Le 4 février, des étudiants protestent contre l’insécurité grandissante dans le pays, avant d’être rejoints par les opposants au chavisme et de dénoncer les pénuries et l’inflation. Depuis ce jour, les mobilisations ont fait 28 morts et près de 400 blessés, et divisent de plus en plus les partisans et les opposants à Nicolas Maduro.
Un pays face à des enjeux économiques et sociaux
Depuis les années 2000, le Venezuela est confronté à divers problèmes qui sont de véritables défis, sans que rien ne change significativement au fil des années.
Tout d’abord, le Venezuela doit faire face à une insécurité grandissante et est devenu le pays le plus violent d’Amérique du Sud. En 2012, entre 16 000 et 21 692 crimes ont été commis (chiffres de l’État vénézuélien et de l’Observatoire vénézuélien de la Violence) dont 92 % par armes à feu, restés impunis pour la plupart d’entre eux (90%). Les Vénézuéliens sont exaspérés par cette violence, et dénoncent également au fil des manifestations l’importante corruption qui règne au sein des forces de l’ordre. L’un des éléments déclencheurs de ce ras-le-bol, a été l’assassinat de Miss Venezuela 2004, tuée avec son compagnon tout début janvier, laissant leur fille de 5 ans orpheline. Leur voiture a été criblée de balles par des malfrats alors qu’ils attendaient une dépanneuse suite à une panne du véhicule. Monica Spear était adulée dans son pays, et sa mort a provoqué une vive émotion avant de relancer le débat sur l’insécurité, ce à quoi Maduro a promis que toute violence serait « reçue par une main de fer », sans convaincre la population.
Par ailleurs, le pays est dépendant de ses exportations pétrolières et de l’importation d’aliments et de produits transformés, et peine à se diversifier. De ces caractéristiques économiques découlent une forte inflation (55%), de la spéculation avec le dollar et des pénuries ponctuelles de produits importés.
Depuis le début de l’année 2014, ces dernières se sont multipliées et affectent profondément la population. Les produits de base se font ces trois derniers mois plus rares, et le lait, le beurre, le papier toilette ou encore le riz, brillent par leur absence dans les supermarchés, devant lesquels de longues files d’attente mettent la patience des habitants à rude épreuve. Les Vénézuéliens qui manifestent dénoncent également le privilège dont bénéficient certains riches d’accéder à ces produits au marché des changes officiel à un taux légal, et qui font des bénéfices en les revendant à des vendeurs de rue, afin que ceux-ci les cèdent à des prix exorbitants. Ils étaient ainsi des milliers à se mobiliser contre ces pénuries le samedi 8 mars, défilant pacifiquement avec des casseroles dans les rues de Maracaibo, San Cristóbal, Isla de Margarita, Puerto Ordaz et Valencia, afin de se faire entendre du gouvernement.
Jusqu’ici un grand nombre de Vénézuéliens avaient en tête le développement du pays sur le plan social réalisé par Chavez au fil des années (augmentation des salaires, indexation des pensions sur le salaire minimum, sécurité sociale..) mais ils attendent maintenant de Maduro de réelles actions de planification sur le plan économique, afin de ne plus subir de plein fouet et au quotidien la dépendance du pays, et des mesures pour que la violence ne soit plus un fléau qui terrorise et brise des familles au quotidien.
Un trouble politique qui agite les différents partis et une violence qui s’intensifie
Si Maduro peine à convaincre dans son propre camp et n’a plus le soutien des gauches européennes, l’opposition n’est elle plus unie comme elle l’était grâce à Henrique Capriles au moment des élections présidentielles l’an dernier, maintenant tiraillée entre un pan modéré et un pan plus radical. La droite menée par Capriles est accusée par le gouvernement de préparer un coup d’État avec l’aide des États-Unis, et n’hésite pas en retour à répandre de fausses rumeurs pour ternir l’image du président et de son gouvernement.
Les affrontements sur le terrain entre des opposants parfois violents et des soutiens armés que Maduro a du mal à contrôler, sont de plus en plus tendus. Dans une optique d’apaisement des tensions, Henrique Capriles a pris ses distances avec la vision de Leopoldo López, fondateur du parti Voluntad Popular (droite dure), qui souhaite, lui, la démission du président actuel. Ce chef de file de la contestation était recherché depuis le 12 février pour homicide et incitation à la délinquance après une manifestation où trois personnes avaient perdu la vie, et s’était remis le 18 février aux autorités, devant une foule de partisans rassemblés à Caracas. Cependant si la droite est divisée quant aux actions à mener et à ses revendications, elle reste unanimement critique sur le bilan 2013 de Maduro et marche côte à côte lors des manifestations, puisque les leaders d’opposition sont « différents » mais « solidaires », selon Capriles. Les revendications des manifestants ne visent plus uniquement la situation économique du pays et son manque de sécurité, mais également les abus policiers qui se multiplient lors de ces rassemblements.
En effet, l’extrême conflictualité entre opposition et majorité présidentielle a pris ces dernières semaines une dimension nouvelle. Les manifestations sont devenues de plus en plus violentes, ont fait près de 28 morts et 400 blessés, les forces de l’ordre n’hésitant plus à s’en prendre violemment à la population. A titre d’exemple, lors du défilé des cacerolazos le 8 mars, de nombreux gardes nationaux du Venezuela qui se trouvaient à bord de véhicules blindés ont empêché le défilé de se rendre jusqu’au ministère de l’Alimentation, utilisant des gaz lacrymogènes contre les manifestants. Trois nouveaux décès sont de plus survenus le 12 mars, à Caracas, quand 3 000 étudiants ont tenté de rejoindre le centre-ville, où se déroulait une manifestation de partisans du pouvoir. Ils exigeaient la libération d’étudiants arrêtés ayant manifesté ces dernières semaines, et ont reçu pour réponse de Maduro une interdiction de défiler dans le centre de la capitale.
Chaque protestation apporte son lot d’emprisonnements, et l’opposition vénézuélienne refuse tout dialogue avec la majorité tant que des manifestants seront derrière les barreaux. De plus, des ONG ont annoncé dans la presse avoir recensé des cas de tortures, et plusieurs experts de l’ONU ont demandé au Venezuela d’enquêter sur des détentions arbitraires et une utilisation excessive de la force.
Tensions diplomatiques et pression internationale pour l’instauration d’un dialogue
Dès le début du mois de mars, des agents consulaires américains s’étaient vus signifier leur expulsion, accusés d’avoir participé à « l’organisation et la promotion de groupes qui ont tenté de générer de la violence au Venezuela », ce qui avait provoqué la colère des États-Unis, prêts à expulser en retour des diplomates vénézuéliens.
De plus, 15 millions de dollars ont été demandés mercredi dernier par des sénateurs américains. Ils souhaitent que ces fonds servent à faciliter le renforcement de groupes civils démocratiques, et à aider des organisations visant à protéger les droits de l’Homme à s’organiser. Luisa Ortega Diaz, procureure générale du pays, a accusé vendredi les États-Unis d’ingérence et les soupçonne d’aider des groupes violents de droite à préparer leurs actions en les finançant.
Au-delà des tensions diplomatiques entre ces deux pays, d’autres nations, principalement d’Amérique du Sud, ont décidé de se préoccuper de la situation au Venezuela. Les ministres des Affaires étrangères des pays de l’Union sud-américaine (12 pays au total), ont décidé mercredi à Santiago du Chili d’essayer de restaurer le dialogue au Venezuela en créant une commission. Cette pression des pays voisins pourraient faciliter des échanges entre les différentes parties, bien qu’à l’heure actuelle une entente semble difficile à envisager. Maduro se rend cependant maintenant compte que les yeux du monde entier sont braqués sur son pays, et que les débordements seront condamnés, ainsi que des enquêtes ouvertes.
Maduro a fait part ces derniers jours de son souhait de dialoguer avec les manifestants, tout en renforçant les mesures répressives à leur encontre, et en les critiquant violemment. Il semble avant tout vouloir apaiser les tensions pour que son image ne soit pas encore plus ternie dans les médias internationaux. Un réel changement de cap semble difficile à imaginer de sa part, et les opposants, dont les revendications et la détermination sont intactes, ne croient pas en une réelle volonté du président de les écouter. Il affronte ainsi depuis quelques semaines la plus grave crise sociale depuis son élection, et la mobilisation semble loin de s’essouffler, laissant craindre une escalade de la violence.
Article: Fanny Croisé