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Détesté ou convoité, le tatouage intrigue et chacun a son avis sur la question. Frivole, esthétique, douloureux, sombre, sa signification appartient à son propriétaire. Focus sur un art riche de sens qui tend à être banalisé dans notre société.

 

Fort de son succès, 1 français sur 10 et près d’1 américain sur 5 arbore au moins un tatouage et diverses manifestations lui rendent aujourd’hui hommage : salon du tatouage, exposition… Comment alors imaginer qu’il y a cent ans encore être tatoué était synonyme de marginalisation ? Alors même si aujourd’hui demeure l’idée fixe que le « tatoo » est incompatible avec l’emploi dit « sérieux », l’idée de rébellion est bien dérisoire en comparaison au siècle dernier.

En effet, avant d’être un insigne d’appartenance à une communauté, souhaité et exposé avec fierté, le tatouage a pu être imposé à beaucoup d’hommes comme une marque au fer rouge afin que les hommes « sains d’esprit » reconnaissent ces brebis galeuses au sein du troupeau. Ainsi, les filles de joie pouvaient être tatouées jusque sur leur visage pour ne leurrer personne de leurs activités et de même pour les voyous. Dans les cirques ambulants, l’homme tatoué était une figure marginalisée et objet de curiosité car doté de capacités extraordinaires mais effrayantes (cracheurs de feu, avaleur d’épée…) Paroxysme de l’atrocité de l’Histoire, les déportés juifs durant la Seconde Guerre mondiale étaient munis d’un numéro d’immatriculation tatoué par les SS. En ce sens, ce type de tatouage veut emprisonner l’Homme et le réduire à une identité imposée par son bourreau.

The Enigma, Paul Lawrence

Récemment, l’actualité a choqué l’opinion publique : des petits-enfants de déportés juifs ont souhaité se faire tatouer le matricule de leurs grands-parents victimes de la Shoah pour leur rendre hommage et participer activement au devoir de mémoire. Les pourfendeurs d’une telle pratique, dont ont fait partie beaucoup des grands-parents en question dans un premier temps, se sont offusqués de voir ce châtiment et toute la cruauté qu’il recouvre reproduit de plein gré. Mais le débat a le mérite de mettre en valeur une chose : le tatouage n’est que le résultat d’un choix, qu’il soit souhaité ou opprimé, et n’a de valeur que le sens qu’on lui donne.

Ainsi, la « bousille » en tant que dessin désiré, peut symboliser un acte de rébellion, un signe d’appartenance ou une démarche purement artistique (si ce n’est les trois à la fois). Mauvais Garçons de Jérôme Pierrat et Éric Guillon dresse le portrait de prisonniers tatoués entre 1890 et 1930 et rend compte de l'histoire du tatouage tout en dressant un portrait social de la France. Derrière des dessins qui peuvent paraître anodins, se cachent des messages d’amour, un antimilitarisme, des dessins noirs ou encore des rébus sexuels et l’idée d’un tatouage autobiographique codifié par l’origine sociale. 

© Collection particulière / Mauvais garçons, Jérôme Pierrat et Eric Guillon, éd. La Manufacture de Livres

L’exposition Tatoueurs, Tatoués au Musée du Quai Branly à Paris retrace à merveille l’histoire du tatouage et l’évolution de son appréciation et fait un tour d’horizon de sa place au sein de chaque culture. Par exemple, dans la civilisation aïnou au Japon, le tatouage ancestral avait des vertus esthétiques et marquait le statut social quand il était utilisé pour orner le visage des femmes jusqu’à leur mariage. Aujourd’hui, le tatouage au Japon est une marque d’infamie, liée à son interdiction sous l’ère Meiji.  

Tatouage Aïnou

Exposition au Quay Branly

L’exposition met aussi en lumière l’évolution des techniques utilisées et souligne l’importance du mélange des cultures, notamment par le biais de voyages de grands tatoueurs ou écrivains spécialisés dans le tatouage qui dresse des journaux de bord avec des portraits de cultures du monde entier. Récemment, l’artiste Thomas Mailaendera proposé une nouvelle approche artistique du tatouage. Sorte de tatouage « coup de soleil », il a reproduit sur la peau de volontaires des photos historiques de la collection de la fondation londonienne « Archive of Modern Conflict » (Seconde Guerre mondiale, conflit irlandais, …) au sein d’une œuvre d’art éphémère The illlustrated people de quoi se placer au sein des thématiques évoquées précédemment : le tatouage est-il éphémère ou éternel ? Engagé ou esthétique ? Un devoir de mémoire ? Une souffrance ?

The Illustrated people de Thomas Mailaender

Article: Andréa Moyer

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