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Journaliste en zone de conflit: la liberté (pas si protégée) d'expression

Le 2 Novembre dernier, la famille des médias français et internationaux était sous le choc à l’annonce du double assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, respectivement journaliste et technicien de RFI (Radio France Internationale), qui a eu lieu à Kidal, dans le Nord du Mali, alors que les reporters étaient venus interviewer un chef local du mouvement touareg. Agée de 57 ans, Ghislaine Dupont était l’une des figures du service Afrique de RFI, ayant consacré la majeure partie de sa carrière à couvrir l’actualité du continent, de Djibouti à Kinshasa (d’où elle avait d’ailleurs été chassée entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2006 en République Démocratique du Congo) en passant par le conflit Ethiopie-Erythrée. Mettant un point d’honneur à délivrer une information impartiale à son audience, elle a toujours cherché à donner la parole à tous les parties, ce qui l’a amené à Kidal, fief des touaregs maliens, en Juillet dernier pour couvrir les élections présidentielles maliennes. Lors de ce premier passage dans la région, elle était déjà accompagné par Claude Verlon, collègue et ami de 55 ans, et qui bénéficiait lui aussi d’une grande expérience de l’Afrique, et des reportages en zones de conflits en général. Les deux confrères étaient donc de retour à Kidal, le 2 Novembre dernier afin de rencontrer et d’interviewer un des responsables du mouvement des touaregs quand ils ont été pris en otage par un commando, puis tués froidement à quelques kilomètres à l’extérieur de la ville. Leurs corps ont été retrouvés par des soldats de l’armée française partis à leur recherche, abandonnés près du véhicule utilisé par leurs ravisseurs et assassins.

Depuis, l’armée française a mis en oeuvre d’importantes mesures d’aide au gouvernement malien pour s’assurer que ce “crime ne reste pas impunis” (paroles de Laurent Fabius, ministre des Affaires Etrangères) et a notamment livré neuf suspects aux autorités du pays, dont le propriétaire du véhicule abandonné. La branche terroriste Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) a revendiqué le rapt et l’assassinat des deux journalistes français, déclarant dans un communiqué que “ces événements viennent en réponse aux crimes commis par la France contre les musulmans de l’Azawad”, nom donné à la région Nord du Mali revendiqué par les touaregs séparatistes. Si l’enquête semble aujourd’hui privilégié l’hypothèse d’un “raté” de la part du commando touareg, dont la plupart des membres seraient de “simples soldats” du mouvement, ayant cédé à la panique après un incident mécanique plutôt qu’une agression préméditée et ordonnée par les chefs d’AQMI, elle révèle en tout cas l’insécurité grandissante pour les journalistes au Mali, et plus largement dans les régions et zones de conflits récurrents.

 

Et si l’on se penche sur les chiffres publiés par le Plan des Nations Unies pour la liberté d’expression (voté et instauré en 2012), il y a de quoi s’interroger  quant aux menaces qui pèsent sur cette liberté d’expression, dont le caractère fondamental est pourtant inscrit dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen: on recense pour l’année 2012, 89 journalistes tués (augmentation de 33% par rapport à 2011), 38 journalistes enlevés 879 arrêtés, et près de 2000 journalistes déclarent avoir été agressés ou menacés. Le nombre de journalistes tués au cours des dix dernières années dépassent 600, ce qui équivaut en moyenne à un assassinat par semaine! Les grands discours des organisations internationales paraissent bien ternes et insipides face à la violence illustrée par ces chiffres et par la dure réalité du terrain, mise en lumière par le drame de Kidal: le plus grand professionnalisme et toutes les précautions possibles ne sont en aucun cas des garanties face à un simple mauvais concours de circonstances, si vous vous trouvez dans une région où les mots “État de droit” et “liberté d’expression” n’ont que peu de sens.

Pour de nombreux médias le “Printemps Arabe” de 2010 devait être à l’Afrique et au Moyen-Orient ce que la chute du Mur de Berlin avait été au monde communiste (c’est-à-dire l’entrée de ces pays au sein d’un monde “libre”). Près de quatre ans plus tard, force est de constater que la réalité est plus nuancée, et si le Plan de Nations Unies déclare vouloir autant garantir la protection des journalistes que favoriser un environnement social et politique basé sur le droit fondamental d’informer et de s’informer, il faut tout de même une sacrée dose de courage et une passion sans limite pour la quête de l’information pour se lancer dans la couverture des zones de conflits. On est en tout cas bien loin de l’image du journaliste qui juge et moralise tout en restant à l’abri dans sa tour d’ivoire.

 

Article: Valentin Pacaud

 

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